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Intervention au Sénat de Mme Cayeux et Audience de Familles de France

10/11/2014 - 21:30

Intervention au SÉNAT le 10 novembre 2014, de Mme Cayeux pour défendre la famille dans le cadre du projet de loi de finances de la sécurité sociale 2015.

"Monsieur le Président,  

Monsieur le Rapporteur général,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mes chers collègues,

La politique familiale est un des atouts de notre pays. Elle a permis à la France de connaître depuis 1945 une des démographies les plus dynamiques d’Europe et un taux d’activité des femmes supérieur à la moyenne des pays de l’Union européenne et de l’OCDE. Elle mérite donc mieux que la gestion empirique et comptable qui est celle du Gouvernement depuis 2012.

La branche famille connaît un déficit récurrent depuis 2008. La crise économique que notre pays traverse explique en partie cette situation. Les prestations prises en charge par la branche famille au nom de la solidarité entre les caisses de sécurité sociale joue également un rôle.

Toutefois, l’incapacité du Gouvernement à ramener la branche sur une trajectoire d’équilibre est préoccupante.

Alors que le solde semblait sur la voie d’un lent retour à l’équilibre à partir de 2011, l’année 2013 a marqué une nouvelle dégradation spectaculaire, le déficit atteignant le niveau sans précédent de 3,3 milliards d’euros.

En 2014, le solde devrait encore être négatif, à hauteur de 2,9 milliards d’euros, soit 600 000 euros de plus que l’objectif adopté en loi de financement.

Alors, afin de ramener le déficit à 2,3 milliards d’euros en 2015 sans augmenter les prélèvements obligatoires, le Gouvernement a prévu des économies en dépenses qu’il a chiffrées à 700 millions d’euros, bien que l’addition des mesures finalement annoncées ne représente que 530 millions d’euros.

Le projet de loi qui nous est présenté s’appuie en outre sur un scenario macroéconomique que le Haut-conseil des finances publiques, dont le sens de l’euphémisme commence à être bien connu de notre commission, a qualifié d’optimistes. Selon les hypothèses retenues, les dépenses, contenues par la faiblesse de l’inflation seraient supérieures aux recettes, dont la progression serait limitée en raison de l’atonie de la croissance et de la persistance du chômage.

Sur ce dernier point, l’échec du Gouvernement –pour reprendre les mots même du ministre du Travail– est patent, l’on ne peut que douter du caractère réaliste de l’objectif retenu.

On peut encore déplorer que la famille soit, une nouvelle fois cette année, considérée comme une variable d’ajustement du budget de la sécurité sociale.

La politique économique du gouvernement tue l’emploi et, c’est aux familles d’en faire les frais !

Ces nouvelles économies imposées aux familles sont douloureuses et injustes au regard des sacrifices qu’elles ont déjà consentis.

En effet, depuis trois ans, les efforts financiers demandés aux familles sont considérables. La revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire, décidée dans une certaine précipitation à l’été 2012 ayant coûté 400 millions d’euros à la branche, et contribué à l’explosion du déficit en 2013, le Gouvernement a mis en œuvre en 2014 plusieurs coups de rabots et mesures de gel, qui s’ajoutent aux deux abaissements successifs du plafond du quotient familial, qui ont ponctionné les familles contribuables de 500 millions d’euros en 2013, puis 1,2 milliard en 2014. Ces efforts demandés aux familles participent à l’étranglement fiscal des classes moyennes provoqué par la politique menée depuis 2012.

Le projet de loi soumis à notre commission a connu, vous le savez, une préparation difficile. Je voudrais m’attarder, chers collègues sur deux des trois mesures finalement retenues, l’une de nature législative, l’autre de nature règlementaire, qui me paraissent particulièrement préoccupantes.

L’universalité est une pierre angulaire de notre système de politique familial, et ce depuis son origine en 1945.

Alors que la fiscalité remplit un rôle de redistribution verticale, des ménages aisés vers les ménages modestes, et alors que de nombreuses prestations spécifiques visent à aider les familles qui se trouvent en situation de précarité financière, les allocations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale, en faveur des familles qui ont charge d’enfants.

Partant du principe qu’un enfant né dans une famille aisée ne mérite pas moins de la part de la solidarité nationale qu’un enfant né dans une famille modeste, les concepteurs de notre politique familiale ont souhaité que les allocations familiales soient versées sans condition de ressources.

Cette idée faisait d’ailleurs consensus jusqu’à une date récente. Le Président de la République, déclarait à ce sujet en mars 2012 devant l’Union nationale des associations familiales : « Je reste très attaché à l’universalité des allocations familiales qui sont aussi un moyen d’élargir la reconnaissance nationale à toute la diversité des formes familiales. Elles ne seront donc pas soumises à conditions de ressources ».

Toutefois, le 9 octobre dernier, c’est-à-dire le lendemain du dépôt du présent projet de loi à l’Assemblée nationale, ce principe fondamental n’était plus, et pouvait, selon les mots du Président de la République, devenir utile : il devenait une « technique pour faire des économies ». Vous imaginez ce que peut cacher cette phrase ?

Les familles sont réduites à « Une technique pour faire des économies » : ces mots font froid dans le dos mes chers collègues.  L’article 61 A du projet de loi que nous avons à examiner prévoit la réduction drastique des allocations familiales pour les familles dites aisées (qui sont en réalité les classes moyennes). Une famille de deux enfants dont le revenu mensuel est supérieur à 8 000 euros ne touchera plus que 33 euros d’allocations mensuelles. Disons-le : à ce niveau l’universalité n’existe plus.

Ne nous laissons pas abuser par la belle ambition de justice sociale avancée par le Gouvernement : c’est bien un froid calcul budgétaire qui conduit à remettre en cause le principe généreux et humaniste de l’universalité.

Si la remise en cause de ce principe fondamental est dangereuse au fond, la méthode choisie par le Gouvernement est de plus particulièrement contestable et témoigne d’un manque de considération à l’égard des familles.

La modulation des allocations familiales ne figurait pas dans le texte initial du Gouvernement. Elle n’a donc fait l’objet d’aucune discussion lors de l’audition de Mme Touraine et de Mme Rossignol par la commission des affaires sociales. Elle n’a pas fait l’objet des consultations destinées à garantir la sécurité juridique du dispositif (Conseil d’État, Conseil économique, social et environnemental). Les acteurs concernés (associations familiales, CNAF) ont été mis devant le fait accomplis sans concertation préalable.

Il résulte de cette méthode une impréparation dommageable pour les familles. Quelles seront les modalités des échanges d’information entre les Caf et les services fiscaux ? Comment les changements de situation seront-ils pris en compte ? Une distinction sera-t-elle prévue entre les familles biactives et celles où seul un des parents travaille. Enfin, l’alourdissement de la charge de travail de la CAF, alors que la nécessité d’un effort de simplification a été inscrite dans la convention d’objectifs et de gestion signée en juillet 2013, n’a pas été anticipée, pas plus que les moyens humains supplémentaires qui seront nécessaires.

Cette méthode est d’autant plus regrettable que la mesure proposée est lourde de conséquences.

450 000 familles verront leurs allocations divisées par 2, 150 000 autres verront leurs allocations divisées par 4.  C’est donc au total 600 000 familles qui sont stigmatisées et trahies par le Gouvernement. 600 000 familles ! Là où le gouvernement évoque des analyses macro-économiques, des statistiques ou des économies d’échelles, je vous parle de familles, d’enfants.

Pour certaines de ces familles la perte de revenu peut sembler marginale. Mais c’est justement à la marge que se prennent les décisions d’investissement ou d’endettement. La réduction proposée des allocations familiales obligera de nombreuses familles à renoncer à leurs projets, notamment d’achat de logement. Quel mauvais signal envoyé à des milliers de familles !

En réduisant considérablement les allocations des ménages dit aisés aujourd’hui pour, on peut le craindre, les supprimer demain, le Gouvernement ouvre la porte à une remise en cause de l’universalité dans d’autres domaines. En effet, une fois cette brèche ouverte, le même raisonnement ne risque-t-il pas d’être appliqué à l’assurance maladie, voire à l’enseignement public ?

La remise en cause de l’universalité des allocations familiales, qui fait sans contestation possible partie des  principes fondateurs  de notre modèle social qu’il incombe à l’État de défendre, fait donc peser une menace réelle sur la pérennité de notre modèle de sécurité sociale fondé sur la solidarité.

Il est dans notre République des principes forts et des acquis sociaux, dont la valeur  n'a pas de prix, des valeurs qui ont été les artisanes du progrès social et qui doivent impérativement être préservées et protégées par l'État. L’universalité fait incontestablement partie de celles-ci.

Je vous proposerai donc un amendement visant à supprimer l’article 61 A. En cohérence, l’article 62 fixant l’objectif de dépenses de la branche pour 2015 devra également être amendé.

La nouvelle réforme du congé parental est également inquiétante. La réforme présentée dans le cadre de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes visait à inciter les pères à prendre une part du congé parental afin de réduire l’éloignement des femmes du marché du travail.

Toutefois, en prévoyant finalement de porter la durée réservée au second parent à 12 mois au lieu de 6, le Gouvernement détourne ce texte de son objectif, pour en faire une nouvelle mesure d’économie, en pariant sur le fait que les pères ne prendront pas le congé qui leur est réservé.

Nous partageons tous, chers collègues, la volonté de voir la situation des femmes sur le marché du travail s’améliorer. Cependant, imposer aux familles un partage du congé parental alors que l’égalité salariale au sein du couple est encore rare  revient à nier les contraintes économiques réelles qui conduisent dans plus de 95 % des cas à ce que le congé parental soit pris uniquement par la mère.

La liberté de choix des familles en matière d’éducation est un principe qui doit rester intangible.

Concrètement, la grande majorité des familles ne pouvant se permettre de sacrifier le salaire le plus élevé du couple pendant un an, elles perdront un an de congé parental. C’est d’ailleurs là l’objectif du Gouvernement, la logique comptable primant sur l’intérêt des familles et de leurs enfants.

La mesure proposée pose en outre la question  de l’accueil du jeune enfant et du rôle des communes qui seront ici mises à contribution Les solutions, individuelles ou collectives, sont en effet plus coûteuses à la fois pour les familles et pour les finances publiques

Cette réforme pénalisera donc lourdement les ménages et pèsera sur les budgets locaux,  tout en ayant un impact incertain en termes d’économies pour la branche. C’est pourquoi je soutiendrai une proposition d’amendement visant à ce que le Gouvernement fournisse une réelle étude de l’impact économique, social et financier de cette mesure.

Le volet famille du PLFSS pour 2015 témoigne très nettement, mes chers collègues, d’une absence de vision globale, et sacrifie une fois de plus les familles sur l’autel d’un redressement des comptes qui s’avère, cette année encore, hypothétique.

Pour terminer mes propos, permettez-moi de vous conseiller, une fois n’est pas coutume, les propos de Madame Martine AUBRY : « Il faut arrêter d’entrer dans tous les dossiers par l’argent, même si c’est important. Pourquoi est-ce qu’on ne présente pas une grande politique familiale du 21ème siècle, plutôt que de parler tout de suite des milliards qu’on va pouvoir récupérer ? »

Elle a raison ! La vraie question qui se pose ici est : de quelle politique familiale voulons-nous pour notre pays ?

Au lieu de faire partie d’une grande cause nationale, les familles sont dans ce projet de loi réduites au rôle de variable d’ajustement comptable. Sommes-nous prêts, à sacrifier les principes fondamentaux de notre politique familiale ?

En avons-nous le droit ? Prenons-nous la responsabilité de voter un texte qui va contre l’intérêt des familles pour répondre à des ambitions strictement budgétaires ?

Les familles sont la vitalité de la France, ne l’oublions pas trop vite, trop facilement !

Je vous remercie."

Caroline CAYEUX

Maire de Beauvais et Sénateur de l'Oise

Rapporteur de la Commission des Affaires Sociales pour la Famille

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COMMUNIQUÉ DE PRESSE : L’universalité, pierre angulaire de notre système de politique familiale depuis son origine en 1945

Alors que le Sénat débute aujourd’hui l’examen du projet de loi  de «  Financement de la sécurité sociale pour 2015 », Caroline Cayeux, Sénateur de l’Oise, Vice-présidente de la Commission des Affaires sociales, Rapporteur pour la famille, est intervenue en Séance ce lundi 10 novembre afin de défendre une autre politique familiale que celle proposée par le gouvernement.

Caroline Cayeux rappelle qu’il ne faut pas oublier trop vite et trop facilement que les familles sont la vitalité de la France.

Rapporteur pour la famille, La Sénatrice de l’Oise, a notamment défendu l’universalité des allocations familiales qui garantissait, jusqu’à aujourd’hui, à toutes les familles d’au moins deux enfants, quel que soit le niveau de ressources du foyer, un geste de l’État identique.  Cette allocation marquait la reconnaissance d’un égal intérêt porté par l’État à ses familles, c’était aussi un pilier fondamental de la politique familiale de notre pays.

Ces allocations avaient été créées dans les années 30 et faisaient partie du socle des acquis de notre République.

Les familles que l'on tente aujourd'hui de stigmatiser sont au quotidien écartées de la quasi-totalité des dispositifs d’aide ou d’action sociale.

Il ne faut pas oublier l'essentiel : ces familles ont aussi des enfants à charge... comme les autres. Ces enfants sont comme les autres, des enfants de la République.

 Accepter l'idée d'une modulation des allocations familiales en fonction des ressources, c'est accepter de renoncer à une universalité qui garantissait jusqu'ici le même droit à tous. C'est encourager les clivages sociaux, c'est nier l'histoire et les principes fondamentaux qui font la force de notre politique familiale.

Et demain ? Quelle est la prochaine étape ?  Une sécurité sociale à plusieurs vitesses ?  L'école publique payante en fonction des ressources de la famille ?  De quelle République voulons-nous ? Une République catégorielle et clivante ? Ou une République pour Tous qui accueille indistinctement chacun de ses enfants.

Il est dans notre République des principes forts et des acquis sociaux, dont la valeur  inestimable n'a pas de prix, des valeurs qui ont été les artisans du progrès social et qui doivent impérativement être préservées et protégées par l'État.

Cette proposition, profondément injuste, consiste à prendre toujours plus, sans pour autant donner davantage à ceux qui ont moins !

La justice sociale devrait être une démarche de progrès social, une démarche qui permette d'aller de l'avant. Aujourd’hui, même si le Gouvernement s’en défend, c’est ni plus ni moins la fin du principe d’universalité des allocations familiales.

Caroline Cayeux, Sénateur de l’Oise
Vice-Présidente de la Commission des Affaires sociales
Rapporteur pour la Famille


Mardi 21 octobre, Familles de France était invité par Madame Cayeux, Sénatrice et Maire de Beauvais en charge de la commission des affaires sociales à s'exprimer sur les nouvelles mesures proposées par le gouvernement et le groupe socialiste de l'assemblé nationale, concernant la politique familiale.
Patrick Chrétien, Président, Thierry Vidor, Directeur ont exprimé avec une très forte conviction le rejet par notre Fédération Familles De France des dernières mesures de politique familiale et en particulier la modulation des allocations familiales et la fin de l'universalité de celles ci.
Le Président Chrétien a exprimé son immense inquiétude devant le manque de stratégie dans les raisonnements qui conduisent à prendre ces mesures et sur les objectifs poursuivis par le gouvernement.
Quel est l'avenir de la Famille en France ? Thierry Vidor est revenu sur chacune des mesures proposées pour démontrer les erreurs de raisonnement économique (un enfant coûte 2,5 fois plus cher en crèche qu'un congé parental) ou sur les risques engendrés par la perte de cette universalité.
Madame la Sénatrice a eu beaucoup d'intérêt pour nos remarques, nos réflexions et nos propositions, et nous la remercions pour son accueil.